Temps de lecture : 9 minutes
Salut les repats,
Pour cette édition, je vous propose d’évoquer les 5 clés du soft power chinois.
Quelques chiffres sur la communauté grandissante de Repat Africa 🚀:
🎊Nous sommes désormais 1155 repats abonnés, en 1 mois
📊82 membres actifs sur notre groupe Discord
Je tenais à vous remercier pour votre confiance, vos nombreux messages de soutien, vos contributions sur notre groupe Discord, commentaires et encouragements. Cela me motive énormément et confirme mes ambitions afin de vous proposer plus de services avec Repat Africa.
Si vous n’avez pas eu la possibilité de lire la première édition, vous pouvez toujours la lire en cliquant ici :
Vous n’êtes pas encore abonné(e) à la newsletter ? Pour recevoir les prochaines éditions, ajoutez votre email ici 👇
Dans nos échanges sur Discord, nous sommes nombreux à avoir le même ressenti : nous serions prêts à investir/travailler/vivre dans un pays africain autre que celui de nos origines. Comme pour beaucoup d’Africains Occidentaux issus de la diaspora, lorsque je traverse la Méditerranée, et que je me retrouve dans un pays avec des gens qui aiment l’Afrique, je me sens chez moi.
Récemment, j'ai eu une réflexion profonde sur une chose : comment des communautés très éloignées, aussi bien culturellement que géographiquement, arrivent tout de même à s'intégrer, sans grandes difficultés, dans les communautés africaines et à jouer un rôle important sur leur l'économie ?
Je constate qu'en Afrique subsaharienne, les communautés chinoises 🇨🇳, libanaises 🇱🇧, grecques 🇬🇷(oui, il y a beaucoup de grecs en Afrique) s'organisent et arrivent à développer des business très lucratifs. Ce sont des communautés très cohésives. Elles partagent le fruit de leur business et leur réussite entre elles. Cet argent est consommé et reste au sein de leur communauté.
Pour cette deuxième édition, je vais me focaliser sur la communauté chinoise. D'une part, car leur capacité d'adaptation m'impressionne et d'autre part, je trouve que les activités qu'ils opèrent peuvent être, à terme, dangereuses pour les Africains. Se dirige-ton vers une "Françafrique, made in China " ? 🤔
Comment la Chine utilise le soft power en Afrique ? 🇨🇳
“La Chine cherche à gagner le coeur et l’esprit des gens”
Wu Yushan, auteur chinois.
Le soft power est une technique utilisée dans les relations internationales qui consiste à influencer de manière subtile. Pour la Chine, sa culture est un de ses meilleurs atouts pour développer sa stratégie d'influence à l'étranger. Elle s’appuie sur une diplomatie culturelle très active mais aussi sur une présence médiatique forte qui lui permet de livrer une image positive en Afrique. En mobilisant des moyens colossaux dans les médias, l'économie et le domaine académique ainsi que les échanges d’étudiants et professionnels, la Chine renforce constamment son attractivité et promeut son modèle de développement.
Le développement des relations sino-africaines ne date pas des années 2000 comme nous pouvons le lire dans la plupart des médias. En effet, la présence chinoise en Afrique inquiétait déjà ans les années 1960 :
C'est à partir des années 2000 que la présence chinoise en matière politique et économique s'est renforcée en Afrique de manière spectaculaire avec la mondialisation et le développement de ses entreprises.
1. Investissements massifs 💵
La Chine est actuellement la 2ème puissance mondiale derrière les Etats-unis, avec un PIB de près de 14.000 Mds de dollars en 2019. Elle est devenue en 2009, le premier partenaire commercial du continent africain, cela s'explique par l'investissement et l'augmentation de son aide au développement sur le continent. Selon le cabinet McKinsey, en 2017, il y avait 10 000 entreprises chinoises sur le sol africain. Bien que l'épidémie de COVID-19 ait ralenti sa croissance (-6,8%), la Chine pourrait s’imposer comme la première puissance mondiale d'ici la fin de l'année. Pour y parvenir, avoir une forte influence en Afrique est déterminant.
En 2050, l'Afrique comptera près de 2 milliards d'Africains, dont la moitié aura moins de 25 ans. En investissant massivement dans des projets d'infrastructures stratégiques, tels que dans les ports, aéroports, autoroutes, chemins de fer, la Chine pourra profiter de cette population jeune, sur laquelle elle aura un impact plus important (nous reviendrons sur ce point ci-après).
La Chine détiendrait, selon les données disponibles de la Banque Mondiale actuellement 17% de la dette de l'Afrique subsaharienne. Certains avancent même 40%, une véritable guerre de statistiques concernant le poids de la Chine en Afrique fait actuellement rage. Concernant ce point, d’une part, la Chine ne donne pas de chiffres précis, peut-être minimisé; d’autre part, la Europe diabolise l’impact de la Chine en gonflant (probablement) les chiffres. Je préfère m'appuyer sur des données disponibles et être prudent quant à leur utilisation.
En 1995, UN seul pays africain avait comme principal partenaire la Chine : la Gambie. 20 ans plus tard, ils sont au nombre de 24. Selon Ecofin (conseil européen), les échanges commerciaux sino-africains ont atteint en 2019 la somme de 208,7 Mds de dollars soit une hausse de 2,2% par rapport à 2018. Ces chiffres sont astronomiques, certes. Cependant, les voyants ne sont pas tous au vert pour l'Afrique :
📈La hausse des échanges commerciaux de 2019 (+2,2%) est très inférieure à celle de 2018 (+19,7%).
📉Le déficit de l'Afrique subsaharienne a plus que triplé, passant de 5,62 Mds en 2018 à 17,7 Mds de dollars en 2019.
🌍40 pays africains ont connu d'importants déficits commerciaux avec la Chine en 2019. En d'autres termes, la Chine exporte plus à destination de l'Afrique qu'elle n'importe de produits africains sur son sol. Ce ralentissement pour l'Afrique dans les échanges avec la Chine est lié à une baisse de la demande en matières premières. La crise du COVID-19 pourrait encore plus l’accentuer.
Dans le cadre du projet "Les Routes de la Soie" qui prévoit d'investir 1000 milliards de dollars, destinés à financer des infrastructures pour relier la Chine et l'Europe, il serait intéressant d'analyser la situation au Sri-Lanka à qui la Chine a prêté plusieurs milliards de dollars en 2015 afin de construire un important port au sud de l'île. Plongé dans ses multiples dettes, le Sri-Lanka n'a plus les moyens de rembourser la Chine, qui lui propose donc comme alternative de gérer le port pendant une durée de 99 ans, de manière souveraine 😱.
Nous pouvons donc nous demander ce qu'il se passera si par manque de vision politique et économique, les pays africains ne peuvent plus rembourser cette dette... 🤔
En effet, les contrats disposent souvent de clauses qui permettent à la Chine d'assurer ses arrières en cas de non-remboursement de la part des pays endettés. Nous pouvons citer les exemples suivants :
🇰🇪Kenya : si le pays ne parvient pas à rembourser les prêts chinois qui financent la ligne de chemin de fer entre Nairobi et Mombasa, la Chine prendrait le contrôle du port de cette dernière.
🇿🇲Zambie : le pays doit 8 milliards de dollars à la Chine qui prendrait le contrôle de Zesco (l'EDF local) si le gouvernement zambien n'arrive pas à rembourser sa dette.
2. Les instituts Conficius
Du nom du philosophe chinois du VIème siècle, le premier Institut Conficius en Afrique, l'équivalent de l'Institut Français, a été crée à l’université de Nairobi (Kenya) en 2005. 15 ans plus tard, il en existe 59 en Afrique (contre 64 pour les Instituts Français), dont les principales missions sont de promouvoir la culture et la langue chinoise. On peut donc apprendre gratuitement le mandarin dans ces instituts. L’ambition des apprenants africains est avant tout professionnelle, la Chine étant le premier partenaire économique de leur pays. Il est donc possible pour les africains d'apprendre le mandarin et d'obtenir une bourse pour continuer leurs études en Chine. A leur retour, ils pourront avoir le rôle d’intermédiaire avec les acteurs chinois. L'Afrique est le continent le plus jeune au monde ; promouvoir sa culture afin de séduire l'avenir de la jeunesse mondiale en quête d'opportunités, la Chine l'a bien compris.
3. Les médias 📽
Dès les années 2000, le développement des médias chinois s’est fortement amplifié en Afrique :
📺CCTV (China Central Television) : en 2012, CCTV Africa est crée et va dans le sens de l’internationalisation du groupe. Selon Iginio Gagliardone (chercheur américain) : “CCTV Africa cherche à influer sur les perceptions de la Chine et de l’engagement chinois sur le continent, non pas en présentant directement une image alternative, mais en proposant de nouvelles manières de regarder l’Afrique”
📺Xinhua : agence de presse dont le bureau régional africain a été relocalisé de Paris à Nairobi (Kenya) en 2006. A la fin de l’année 2011, le groupe disposait de 30 bureaux en Afrique (24 en Afrique subsaharienne et 6 en Afrique du nord).
📻CRI (China Radio International) : la première station radio chinoise à diffuser depuis l’étranger est crée à Nairobi (Kenya) en 2006 et y propose des émissions sur l’Afrique comme “Africa express” qui se veut être “un pont entre la chine et l’Afrique”
La stratégie de communication des médias chinois est l’opposée de celle des médias occidentaux. Elle présente le potentiel de la coopération Chine-Afrique et manifeste de l’empathie sur les sujets traités, par opposition avec le traitement négatif des autres médias sur l’Afrique.
4. Le cinéma 🎞
Le festival du film sino-africain a été crée en 2017 et durant la même année est sorti un film d’action chinois tourné en partie en Afrique du Sud : “Wolf Warrior 2”.
L’histoire d’un super-héros chinois sauvant des africains victimes de mercenaires et trafiquants d’armes… généreux en clichés mais qui a tout de même rapporté 874M de dollars au box office 🤔.
La bande annonce du film 👇
Les réalisateurs africains bénéficient désormais de bourses pour aller étudier en Chine. En 2017, elle a accueilli plus d’étudiants africains anglophones que l’Europe et les États-Unis.
Pour l’édition 2018 du festival, le film “When Africa meets you” était à l’ouverture. Un film d'amour et d'aventure en Afrique où des chinois contribuent au développement économique local et luttent contre le braconnage des animaux protégés. Le film a rapporté 220M de dollars au box office.
La bande annonce du film 👇
5. La force armée 🎖
En 2017, la Chine crée sa toute première base militaire à l'étranger à Djibouti. En accueillant 5000 soldats, elle affirme donc son ambition africaine et se joint aux autres grandes puissances qui ont implanté une base militaire dans ce pays : les Etats-Unis, la France, les Emirats Arabes Unis, l'Arabie Saoudite, le Japon et l’Inde.
Par ailleurs, la ville de Djibouti est reliée à Addis-Abeba (Ethiopie) via une ligne de chemin de fer longue de 750 km, entièrement financée et construite par des entreprises chinoises.
Et les africains dans tout ça ? 🤷♂️
La première question qui nous vient à l’esprit : est-ce que les africains profitent réellement des investissements et du développement rapide des relations sino-africaines ? OUI et NON !
Finalement, la politique chinoise en Afrique ne doit être ni diabolisée (discours occidental) ni idéalisée (discours tiers-mondiste). La réponse doit être nuancée.
Jusqu’à présent, l’Afrique avait connu uniquement des relations avec l’Occident, qui avait un avantage compétitif sur les investissements étrangers ; alors qu’aujourd’hui la Chine entre en concurrence avec l’Occident. Ce qui, a priori, est bon pour l’économie africaine.
Sous certains aspects, les politiques occidentales sont préférables aux politiques chinoises en matière de coopération avec l’Afrique, sous d’autres, elles sont pires. L’image de la Chine n’est plus si belle auprès des populations africaines. Beaucoup n’y trouvent pas leur compte :
👨💻 Malheureusement, les investissements directs étrangers (IDE) chinois n’ont pas d’effets significatifs sur le PIB par habitant africain, dû principalement au fait que la Chine encourage les investissements dans les secteurs qui recrutent peu de locaux.
A titre d’exemple, j’ai pu constater sur place que les aéroports construits par les chinois au Congo (Brazzaville et Pointe Noire) ont été construits par du personnel expatrié chinois déplacé spécialement pour le projet. Il arrive donc que lors de constructions, la présence chinoise n’ait pas un impact significatif sur l’emploi local. La Chine s’organise souvent pour fournir des infrastructures “clés-en-main” au pays.🤔C’est principalement sur le plan social, politique et environnemental que l’intrusion de la Chine en Afrique pose le plus problème. En effet, lorsque les populations sont employées, les droits sociaux de ces travailleurs africains sont régulièrement bafoués par les entreprises chinoises (sous-payés, maltraités, expropriés)…
😮Certaines entreprises chinoises usent de méthodes illégales pour leurs activités : braconnage des espèces menacées, exploitation minière illégale, trafic de bois précieux… En mars 2019, 5000 m3 de kévazingo, un bois rare, d'une valeur d'environ 7 millions d'euros, ont été découverts dans deux sites d'entreposage appartenant à des sociétés chinoises, sur le port d'Owendo, à Libreville (Gabon), chargés sur des conteneurs aux documents falsifiés 🤦♂️.
Les chinois ont tout de même su ouvrir de nouvelles opportunités de financement aux pays africains qui peuvent voir leurs projets se réaliser rapidement. Il existe des secteurs où les africains peuvent y trouver leur compte. De plus, la Chine est le seul pays à investir massivement dans les infrastructures. Qui, bien qu’elles ne créent pas beaucoup d’emplois locaux lors de leur construction, en créent à terme, en reliant les villes en elles.
➡️ Que peut faire l’Afrique pour bénéficier d’un “partenariat gagnant-gagnant” avec ses investisseurs étrangers ? Les Occidentaux lui suggèrent de multiplier ses partenaires et de se tourner vers l’Europe, les Etats-Unis ou l’Asie du sud.
⚠️ Selon moi, ce n’est pas la solution, les gouvernements africains doivent aussi investir en priorité et massivement dans la formation de leur jeunesse et dans les diverses initiatives de retour de leur diaspora, car elle a un profond désir de voir l’Afrique réussir.
Si ce n’est pas le cas, nous risquons à terme d’être les spectateurs d’une Afrique dont l’économie n’est pas dirigée par les africains !
Nous pourrions développer encore longtemps à propos de l’influence chinoise dans notre chère Afrique, cependant avec cette newsletter je veux d’abord fournir des éléments de réflexion.
Questions ouvertes 🤔 :
Pourquoi les gouvernements africains ne proposent pas plus d'opportunités à leurs concitoyens ?
Pourquoi les gouvernements africains n’investissent pas massivement dans le retour de leur diaspora ?
Quelles seront les conséquences à long terme de l’expansion massive de la Chine en Afrique ?
Répondez en commentaire, je serais ravi d’échanger avec vous👇
Je compte sur vous pour partager massivement cette édition 🙏
Take care 🙌
Kara
Woow ! J'avais conscience que les chinois s'installaient un peu partout dans le monde avec une grande facilité, mais alors j'étais loiiin de me rendre compte de leur impact en Afrique ! Merci, merci Kara de nous ouvrir les yeux.
Concernant les questions ouvertes, j'ai bien peur que les gouvernements africains ne se rendent pas compte du potentiel de la diaspora : parmi cette diaspora, il y a des pépites, qui malheureusement qui ont de meilleure opportunité en Occident, aux USA etc... Il faut changer les choses !
j'aime beaucoup la réflexion derrière ce texte, il incite à la réflexion plutôt que de proposer des avis tout fait. Et j'aime cette initiative pour aider les afros descendants à investir en Afrique car soyons honnête quand on est né et qu'on a vécu en France, on est français, même en étant proche de notre culture ce n'est pas la même chose. Je pense que l'Afrique doit faire confiance à la diaspora pour les former et les éduquer sur des métiers de communication et de marketing, de stratégie et de management. Les guerres ne se font pas avec des armes uniquement. Et l'Afrique doit être en oppositions avec ces interlocuteurs internationaux car ces gens auront toujours à cœur l'intérêt de leur patrie avant tout, on doit avoir cette même mentalité. Les pays africains doivent être solidaire entre eux et mettre les principes de loyauté au dessus de toutes autres valeurs ou considérer. Apprennons de l'histoire et copions ce qui fonctionnent pour les autres. Adaptons nous et conservons la souveraineté de l'homme noir en Afrique sinon tous les noirs seront foutus.